Destination : 86 , Droit dans le mur !


Le bonheur est dans le mur

Les méandres du béton, cet enchevêtrement de minuscules creux, de microscopiques bosses, cela m’agace l’intérieur des bras, là où la peau est toujours blanche comme si elle ne connaissait pas le soleil. Ils sont tout rouge d’avoir trop caressé ce mur.
Combien de temps suis-je restée allongée sur ce mur ? Je crois qu’il a été bâti pour moi, moulé selon la largeur de mon bassin et de mes épaules enfantines. Je suis en plein corps à corps, rien ne dépasse. J’ai ramassé me cheveux en un épais coussin sur laquelle ma tête peut se poser sans heurts et demeurer immobile. J’ai un peu écorché mes genoux en grimpant dessus, mais à peine. Je saignotte gentiment, j’espère juste avoir une cicatrice qui me ramènera sur ce mur lorsque je n’y serai plus. Ma tête est bien calée sur con coussin capillaire, mes bras me maintiennent en équilibre, plaqués contre le mur brûlant je ne sais plus si c’est pour m’éviter la chute ou pour empêcher le mur de s’enfuir. J’ai l’impression de m’enfoncer dans le mur et si je ferme les yeux, je tombe. Je reçois le soleil qu’il a bu toute la journée au travers de mes vêtements.
Aussi loin que se porte mon regard, il n’y a pas de limites. Le ciel devant moi, la campagne grillée à ma gauche, autant qu’à ma droite, et lorsque je baisse un peu les yeux je vois ce mur qui court jusqu’au bord de l’horizon. Je ne veux surtout pas m’envoler, pas question d’aller musarder dans les nuages ou de compter combien de pies jacassent là bas. Je dois me concentrer pour tout imprimer dans ma mémoire, figer cet instant. J’écoute et je sens, j’absorbe et j’avale par tous les pores de ma peau ce qui se passe. Je dois fixer une ambiance qui se constitue d’une masse de détails. C’est la pression de ma peau nue contre le béton, la chaleur qu’il règne, l’odeur un peu écœurante de l’herbe qui a trop chaud, le jacassement des pies. Je suis en plein éveil, totalement immobile, en pleine communion avec ce qui m’entoure. Ce mur est le pilier de ce souvenir, ma colonne vertébrale pour quelques heures. Je suis sereine, juste bien, pas joyeuse ni excitée ou mélancolique. Bien, à ma place. J’ai huit ans, tout va bien et lorsque je serai vielle je me souviendrai que j’avais huit ans et que tout allait bien.

Rosalie Scult